Audrey, maraichère bio, au Marché des Réformés - 30 août 2022 © Magali Guyon

Pour cette AirDiams stories, nous sommes partis à la rencontre de producteurs bio du Marché des Réformés dans le centre-ville de Marseille pour découvrir leur métier, leur engagement écologique et leur perceptions de la qualité de l'air.

entretien - 30 avril 2022

Quelles représentations et quels vécus autant professionnels que sensibles des producteurs bio ont-ils de la qualité de l'air ?

Entretien avec Audrey des Jardins de l'escapade au marché de Réformés à Mareille. Maraîchère bio de Lauris dans le Vaucluse, elle nous fait découvrir son métier, ses engagements écologiques et sa perception de la qualité de l'air.

Par Magali Guyon

« L’air, c’est assez matériel, c'est essentiel, si on ne respire pas on meurt. Donc c'est un des trois fondamentaux avec manger et dormir. Mais comme c'est le plus immatériel, on s'en préoccupe moins. »

Etal des Jardins de l'escapade, maraicher bio, au Marché des Réformés - 30 août 2022 © Magali Guyon

Les jardins de l'escapade au Marché des Réformés - 30 août 2022 © Magali Guyon

Maraîchère, une reconversion professionnelle pour changer le monde

« Les jardins de l’escapade, c’est un grand rêve, on ne peut pas changer le monde, on change le monde à notre rythme, à notre toute petite mesure. Et on essaye de militer. Le bio c'est l'avenir, il faut qu'on y passe tous. On peut nourrir tout le monde. C'est faisable. »

Audrey pratique le maraîchage depuis 15 ans. Après avoir travaillé dix ans chez plusieurs producteurs, elle a repris Les jardins de l’escapade, petite exploitation maraîchère à Lauris dans le Vaucluse en bordure de la Durance. Avec son compagnon et associé Mathieu, elle développe l’exploitation en s’inspirant des principes et techniques agroécologiques du maraîchage sol vivant qui « remettent le sol au cœur du système de culture en garantissant le gîte et le couvert à la macro et micro-faune du sol ». Ils produisent chaque année une cinquantaine de légumes diversifiés vendus uniquement sur les marchés, une petite quantité d’œufs et quelques fruits.

Le projet des Jardins de l’escapade est parti d’une envie de changer le monde. Pour l’un comme pour l’autre, le maraîchage est une reconversion, ils ont « tout appris sur le tas ». Mathieu était ingénieur du son, Audrey travaillait pour la grande distribution. A 28 ans, elle a voulu exercer une profession en accord avec ses centres d’intérêts et ses valeurs et s’est découvert une passion : « J’ai fait un jardin, un très grand jardin et je me suis dis : “ Je vais me mettre paysan ” ». Pour Audrey, ce projet « est un grand rêve, on ne peut pas changer le monde, on change le monde à notre rythme, à notre toute petite mesure. Et on essaye de militer. Le bio c'est l'avenir, il faut qu'on y passe tous. On peut nourrir tout le monde. C'est faisable. » Audrey est très critique envers les lobbies agroalimentaires qui promeuvent des pratiques intensives comme l'hydroponie, culture de plantes réalisée sur un substrat neutre et inerte de type sable, billes d'argile, laine de roche etc. irrigué d’un courant de solution qui apporte des sels minéraux et des nutriments essentiels à la plante.  Elle exprime tout autant sa colère contre les décideurs politiques mondiaux : « On ne changera pas le monde tel qu’il est, les pouvoirs publics ne sont pas du tout motivés, y a qu'à voir ce qui se fait dans les COP 21, c'est complètement aberrant, c'est il y a vingt ans qu'il fallait qu'on se réveille, là c'est trop tard malheureusement, on peut juste essayer de sauver les pots cassés. Protéger les jardins et forêts par exemple, des coins frais pour que les gens puissent survivre en période de canicule parce que là c'est de la rigolade par rapport à ce qui nous attend, bientôt il va faire 50°, et quand il fait 50°, on meurt. »

Le maraichage sol vivant pour anticiper les effets du dérèglement climatique

Des gens assis à un café qui jouxte le Marché des Réformés - 30 août 2022 © Magali Guyon

Autour du marché des Réformés à Marseille le samedi matin, les cafés ne désemplissent pas - 30 août 2022 - © Magali Guyon

« On essaye de faire du préventif, or le préventif ça demande d'avoir le temps de voir les choses ; le temps c’est le nerf de la guerre. »

Audrey nous explique les nombreuses difficultés auxquelles fait face une petite exploitation de maraîchage bio : sans pesticide, la lutte contre les insectes ravageurs et les organismes parasites nécessite de constamment anticiper : « On essaye de faire du préventif, or le préventif ça demande d'avoir le temps de voir les choses ; le temps c’est le nerf de la guerre. » Le modèle économique est également fragile. Répondre aux attentes de la clientèle est parfois une gageure. Les œufs sont un bon produit d’appel, mais entre les vols répétés des poules et les obstacles réglementaires, Audrey et Mathieu ont du mal à répondre à la forte demande des clients : « On en a plus de poules parce qu'on se les ait faite toute voler. C'est facile de voler chez les paysans, y a tout qui est posé là, y a qu'à se servir. Ils viennent en 4x4 à 1h ou 2 du matin et ils prennent soixante poules. Je pense que c'est toujours les mêmes, ils viennent une à deux fois par an. » Sécuriser le poulailler serait une solution mais pour rentabiliser l’investissement, il leur faudrait passer à 500 poules pondeuses et dépasser ainsi le seuil des 250 poules au-delà duquel les législations changent drastiquement et nécessitent l’achat et la maintenance d’équipements coûteux.

Le marché au fleurs à côté du marché alimentaire des Réformes à Marseille - 30 août 2022 © Magali Guyon

Le marché au fleurs à côté du marché alimentaire des Réformes à Marseille - 30 août 2022 © Magali Guyon

« On arrive à produire deux fois plus qu'il y a cinq ans avec quatre fois moins d'eau sans avoir de perte de rendement. Tout ça pourquoi ? Parce qu’on travaille notre sol pour qu'il soit prêt pour le futur. »

Audrey nous donne des exemples concrets de leurs pratiques écologiques. « Déjà, on n’utilise plus de plastiques jetables mais des toiles tissées qu’on réutilise pendant au moins dix ans. » Quant aux poules, elles sont complémentaires du maraîchage : elles assainissent les cultures parasitées et mangent les invendus et les légumes abîmés. Plus fondamentalement, la diversité des cultures et la manière de travailler les sol, ou plutôt en opposition au maraîchage classique, de les travailler le moins possible en leur apportant des matières organiques sans les violenter, anticipent les problèmes inévitables à venir dû aux dérèglements climatiques : « on met du compost, on récupère du fumier, on cherche à augmenter la diversité de notre sol, pour augmenter ce qui est disponible pour les plantes et qu'elles arrivent à faire des sucres complexes qui sont bien plus nutritifs. Il n’y a pas que la nutritivité, la qualité gustative va avec. Les plantes qui poussent en hydroponie, soit 80% des tomates mangées en Europe ou en France, n’ont pas de goût car elles n’ont pas poussées dans la terre, on leur a juste mis des nutriments dans l'eau. La plante se nourrit à travers l'eau mais elle est gavée, c'est comme une oie qu'on a rendue malade, une oie gavée ». Les effets positifs se font déjà sentir : « On a des soucis d'eau en ce moment, on a un quart de l'eau habituelle, soit notre forage est en train de se colmater, soit la nappe phréatique est en train de s'assécher, je ne sais pas. Toujours est-il qu'on arrive à produire deux fois plus qu'il y a cinq ans avec quatre fois moins d'eau sans avoir de perte de rendement. Tout ça pourquoi ? Parce qu’on travaille notre sol pour qu'il soit prêt pour le futur. »

Tomates du Jardins de l'escapade, maraicher bio, au Marché des Réformés - 30 août 2022 © Magali Guyon

La pollution de l’air, un enjeu de taille pour l’agriculture

J’explique à Audrey le fonctionnement du capteur DIAMS qui mesure le taux de particules fines dans l’air ambiant. Un smiley vert apparait sur l’écran de mon portable connecté au capteur : la qualité de l’air est bonne. A ma question « Connais-tu les particules fines ? » Audrey me répond sans hésitation : « Oui, c'est pour ça qu'on a des filtres à particules sur les diesel. » Et de poursuivre : « Vu que je suis très grosse fumeuse et que je fais de l’emphysème, je me rends compte de la différence de la qualité de l'air entre chez moi dans ma campagne à Lauris et ici à Marseille, il y a des périodes où j'arrive ici et je commence à avoir du mal à respirer. Comme j’ai de l’emphysème parce que je suis une grande fumeuse, j’ai une grande sensibilité. Déjà je ne respire pas aussi bien que je devrais, et quand il manque d'air et bien je m'en rends bien compte plus que d’autres. Et le fait de passer de la campagne à la ville fait aussi que tout d'un coup tu sens une différence. Même si la qualité de l'air est bonne sur ton capteur ici, je pense que si on fait des analyses avec ce qui se passe ici au marché à côté du tram et ce qui se passe chez moi, on aura une qualité de l'air qui sera encore bien meilleure à Lauris, ou bien moins mauvaise, ça dépend des critères. » C’est cependant surtout le bruit qui indispose le plus Audrey : « Quand je rentre, je suis fatiguée par le bruit. En plus le marché c'est particulier car c’est très dense, je parle souvent à trois personnes en même temps, le bruit des voix, la cacophonie, l’attention, c’est fatigant. »

Audrey s’est penchée sur l’impact de la pollution de l’air sur les productions maraîchères. Elle nous explique que plus le taux de CO2 est élevé, plus les légumes sont gros et plus ils perdre leurs qualités nutritives et gustatives car ils produisent des sucres sont moins complexes. Si elle « n'a pas des masses de cartes en main » pour agir sur la qualité de l’air, elle a en revanche tenté d’acheter un camion électrique ou au moins un camion à essence pour remplacer le gasoil, en vain.

Pour Audrey, l’air c'est …

« L’air, c’est assez matériel, c'est essentiel, si on ne respire pas on meurt. Donc c'est un des trois fondamentaux avec manger et dormir. Mais comme c'est le plus immatériel, on s'en préoccupe moins. »

 

Et ici pour les PM2.5:

On remarque sur ces cartes des mesures de particules fines des pics à 93 ug/m3 pour les PM2.5 et à 111 ug/m3 pour les PM10 lorsque l’on se trouve au milieu du marché sur la place des Réformés. Ces pics de pollution peuvent avoir des multiples origines dues à l’activité humaine autour du marché ce jour ci: mise en place des stands, rangements de matériels, dépoussiérage d’une étale, remise en suspension des poussières par la foule, etc. On notera tout de même que les épisodes de fortes pollution (les pics) sont relativement court et que la qualité de l’air ce jour ci est plutôt bonne pour les particules fines: en moyenne 20 ug/m3 pour les PM10 et 10 ug/m3 pour les PM2.5. La station de mesure fixe d’AtmoSud la plus proche (située au parc Longchamp à moins d’un kilomètre du marché) nous informe que pour ce jour la moyenne journalière est de 15,4 µg-m3 pour les PM10 et de 8,2 µg-m3 pour les PM2.5. Les mesures de la station et des capteurs DIAMS sont donc semblables. Les capteurs nous permettent ici de mettre en évidence des « pics » de pollution qui dépendent de phénomène très local (ici l’activité humaine due au marché).